12 oct. 2007

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Les Lionnet sont sur les dents...
Il meurt tant de monde, ma chère
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Aujourd'hui satire des frères jumaux Hippolyte et Anatole Lionnet
célèbres chanteurs de l'époque, omniprésents en toute circonstance.

...Remarqué dans la nombreuse assistance
tout ce que Paris compte de notabilités artistiques
les frères Lionnet... , etc... , etc... (Gazettes du Jour)

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Sois ce que tu pourras sur terre,
Vaillant héros, Rothschild qui luit,
Sénateur, ministre, notaire,
Sois un empereur plein de bruit,
Grand en Espagne ou pape à Rome,
Ton avenir est nul, pauvre homme,
Absolument nul, si ce n'est
Que tu seras au cimetière
Conduit en sinistre litière
Par les deux frères Lionnet.

Sois un de ceux que l'on renomme,
Un de ceux ou celles à qui
L'on donne ou l'on jette la pomme :
Koch, Bismarck, Atchinof, Crispi ;
Sois tragédienne ou divette :
Sarah Bernardt, Guilbert Yvette,
Kam-Hill, Sardou, Paulus, Ohnet ;
Sois le général Chion-ki-tombe (1) :
Qui doit te conduire à la tombe ?
Sinon les frères Lionnet ?

Las ! quelle que soit son envie
Nul n'évite ici-bas son sort,
De même façon dans la vie
On entre, et de même on en sort,
C'est aussi de même manière
Que vous mènent au cimetière
Ces anges de l'enterrement ;
Les Lionnet ne sont pas chiches
Et corbillards pauvres ou riches
Ils les suivent semblablement.

Si l'on pouvait compter les lieues,
Les kilomètres furieux
Qu'ont parcouru ces faces bleues !
Ce serait vraiment curieux.
Remarquez que ces deux funèbres
Vous accompagnent, pauvres zèbres,
Jusques au seuil du Paradis,
Uniquement par bonté d'âme ;
Quoi que vous en pensiez, madame,
Ils ne touchent pas un radis.

Pour être au courant des malades,
Ces deux voyageurs aguerris
Font d'interminables ballades
Dans tous les quartiers de Paris.
Par une rare prescience,
Ils savent longtemps à l'avance
Le jour précis de votre mort,
Et quand vous demandez le prêtre,
Le médecin... voici paraître
Les deux Lionnet tout d'abord.


Tu peux aller au bout du monde
Dans un désert, au pôle Nord,
Au sein d'une forêt profonde,
Sois tranquille, avant que la mort
N'ait mis ses ombres éternelles
Au fond de tes creuses prunelles
Tu les verras, ils seront là
A ton chevet, le coeur en berne,
T'espérant !... l'être le plus terne
Ne saurait éviter cela.

Tu n'as pas d'amis, de famille ?
Ne t'en montre pas soucieux,
Pour accompagner ta guenille
Tu auras toujours ces messieurs ;
Derrière ton convoi qui roule
Afin de simuler la foule
Ils se mettront sur quatre rangs,
Et parfois même, que je meure !
S'ils n'assistent à la même heure
A douze convois différents.

Qu'un hurluberlu mentionne
Sur un bel et bon testament
Qu'il désire n'avoir personne
Le jour de son enterrement,
Le bougre compte sans ces hôtes,
Car à peine a-t-on mis ses côtes
Côte à côte dans un cercueil,
Que l'on voit accourir rapides
Nos deux Lionnet intrépides,
La larme au bras, le crêpe à l'oeil.

Derrière leur mort qui roupille
Pour deux ou trois éternités,
L'un représente la famille,
L'autre les divers invités.
Et quand finalement la bière
Est arrivée au cimetière,
Hippolyte, plus éloquent,
Prononce le discours d'usage,
Et des pleurs baignent le visage
D'Anatole, par conséquent.


...Je sais : vous vous dites : en somme,
Lorsque sans espoir de retour
Ils dormiront leur dernier somme,
Nous saurons bien à notre tour
Rendre bons soins pour bons offices
A ces deux puits de sacrifices,
Tels qu'on n'en vit jamais de tels :
Hélas ! pauvres que nous sommes !
Quittez cet espoir, tristes hommes,
Les Lionnet sont immortels !



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
22 fév. 1891




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