15 oct. 2007

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LE RASEUR
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Parmi les gens, sur la terre,
A qui je suis réfractaire,
Comme aussi mon ascenseur,
Un surtout que je déteste,
Que je fuis comme la peste,
C'est bien le " raseur ".

Mais hélas ! disons-le vite :
Un raseur, nul ne l'évite.
Vous le reconnaîtrez partout.
D'ailleurs, il n'a rien à faire,
Sa verve soporifère
Lui tient lieu de partout.

Lorsque tu vois tel bonhomme
Que tu connais, qui t'assomme,
Venir vers toi, quel émoi.
Tandis qu'il est loin encore,
Tu songes : Dieu que j'adore !
Epargnez-le moi .

Par bonheur, il est myope !
Pas de danger que j'écope .
Tu te dis : " Il n'y voit point,
Enfin, changeons tout de même
De trottoir . " Vain stratagème !
Il t'a déjà joint.

Car, étrange phénomène,
Passant la raison humaine,
Ce personnage assommant
Peut, d'une façon subite,
Etre myope et presbite,
Simultanément.

Dès qu'il ouvrira la bouche,
Que prendras-tu comme douche ?
Tu voudrais t'évanouir,
Te dissoudre dans l'espace...
Mais vous êtes face à face,
Il te faut l'ouïr.

Si dans l'espoir qu'il te quitte,
Tu prétends qu'une visite
T'appelle à - mettons Bercy,
Ou simplement à Marseille...
Il dit : " Ca tombe à merveille,
Car j'y vais aussi... "


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* *

Ce que je ne pus admettre
C'est lorsque j'entends un être
Me dire d'un vieux raseur :
" Je vous assure qu'en somme,
Ca n'est pas un méchant homme,
Quoiqu'un peu causeur.

Lui, pas méchant ! C'est le pire
Des scélérats, tu veux dire.
Un raseur, pour résumer,
Empoisonne votre vie ;
Ce serait faire oeuvre pie
Que de l'enfermer.

Et que le diable l'emporte !
Un raseur, en quelque sorte,
Me fait l'effet d'un ami
Qui dès l'aube vous réveille,
Pour vous dire : " Eh bien, ma vieille,
As-tu bien dormi ? "


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
03 mars 1914


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