7 nov. 2011




.
.


.A CHACUN SON LEZARD
.

Je pense à la querelle
De ces jours-ci pour un lézard
Qu’une vieille sempiternelle
Avait avalé par hasard,

(Qu’elle disait) en son enfance,
Et qu’elle avait senti grandir.
Et ce saurien dans sa panse
La faisait bougrement souffrir.


Mais les gens n’y voulaient pas croire :
« Un lézard si petit qu’il soit,
N’eût pas vécu dans cette armoire ;
Est-ce que cela se conçoit ? »

Cependant, sur son insistance
Un chirurgien fut appelé.
Et le cas étant d’importance,
Avec lui ce fut tôt réglé.


Il fendit en deux la gidouille
De la vieille et n’y trouva rien.
Il eut beau fouiller - je te fouille -
Pas l’ombre du moindre saurien.

J’en étais sûr, dit le Vulgaire,
Comment voulez-vous qu’un lézard ?…
Et moi, je dis, tout au contraire :
On devrait en trouver un. Car


Nous tous, de l’Humaine lignée
Avons, dès le cotylédon,
Dans le plafond une araignée,
Comme un lézard dans le bedon.
.

L’araignée est assez tranquille,
Et, toute à ses obscurs travaux,
Du soir au matin elle file
L’humble trame de nos cerveaux.


Il n’en va pas de même sorte
Pour le lézard, bien entendu,
Qui n’est jamais d’humeur accorte,
Et ronge notre individu.

Il est établi tout au centre
De nos tripailles et nous rend
L’esclave nul de notre ventre,
A tout le reste indifférent.


Cet animal-là fait, en somme,
A chacun son tempérament.
Selon son hôte, femme ou homme,
Il agira différemment.

S’il veut que tu manges, tu manges,
En devrais-tu crever cent fois.
Et toi, c’est à des jeux étranges
Qu’il t’oblige, et que trop je vois.


Le mien, de lézard, me fait boire
De l’aurore à minuit et quart.
C’est son ordre comminatoire.
Je n’y puis rien. C’est mon lézard !


« Parbleu ! J’admire votre zèle,
M’allez-vous dire - vieux pochard.
Mais on n’a rien trouvé chez elle…
Votre vieille… en fait de lézard. »


Eh bien, qu’est-ce que cela prouve ?
Peut changer à la question ?
Je crois qu’à toute règle on trouve
Tout au moins une exception.

Donc, ma vieille sempiternelle
Était - les Dieux m’en soient témoins ! -
Une femme exceptionnelle
Et bizarre, ni plus ni moins.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
07 juin 1906



 

Aucun commentaire: