4 oct. 2007

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La Fête des Vendanges
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Ah ! cette fête des Vendanges !
Je puis dire que sous les cieux
Je n'ai rien vu de plus étrange
Encore. Quels sont les messieurs,

Arbitres de nos élégances,
Dispensateurs de nos plaisirs
Comme de nos pauvres finances,
Qui nous valurent ces loisirs ?

Je ne sais. Mais, ces mariolles
S'ils n'eurent que le seul souci
De se farficher de nos fioles,
Ils ont bougrement réussi.

Comme tant d'autres, pris au piège,
J'ai vu ce cortège nombreux,
Maigre, un menu du Siège...
D'abord, et rapport à son creux,

Un vrai héraut de fantaisie
En façon de ban, nous mugit
Une prose de Clarétie :
C'est dur, quand on y réfléchit.

Après ces sombres réthoriques
Dont Brichanteau nous fit cadeau,
Voici : des chars allégoriques
S'ébranlèrent du Château d'Eau...

Du Château d'Eau, par pur symbole.
Et ces chars voulaient imager,
Dit-on, les pays vinicoles
De la France et de l'Etranger.


On y voyait des vendangeuses
Ayant l'air de bien s'embêter,
Et des vendangeuses aux dents creuses
Qui ne demandaient qu'à pinter.

Ils étaient munis d'accessoires
En carton pâte et papier peint
Empruntés - j'estime - aux armoires
Des Poudres et Perlinpinpin.

J'ai vu des faunes intrépides,
Comme on en voit à l'Ambigu,
Boire dans des cratères vides
Ou dans des bouteilles tout cul.

J'ai vu d'exécrables ménades
Sous prétexte de G.-H. Mumm
Sabler de blêmes limonades
Cependant qu'elles faisaient : poum !

Enfin, j'ai vu sur sa barrique
Bacchus, sans la moindre caraf'
Et Silène sur sa bourrique ;
Et tous les trois mouraient de soif.

Les chars longtemps se succédèrent
Flanqués de Grecs et de Romains
Qui sur des buccins buccinèrent
Des fanfares sans rien d'humain.

C'étaient là des vendanges sèches...
Je remarquerai, plus réussis
Que d'autres, le char des Campêches
Et le char des Vins de Bercy !


Je trouvai le char un peu grêle

Du Vin sans raisin ; mais tout beau !
Il me fallut tirer l'échelle
Après le verre des buveurs d'eau.

Ah ! les voilà bien, les Vendanges !
On les sent d'ici, n'est-ce-pas ?
A quoi bon que tu te déranges,
Parigot, chiche de tes pas ?...

Allons, espèces d'imbéciles,
Votre fête fit mal à voir ;
Laissez les vendanges tranquilles.
Quel rapport peut-il y avoir

Entre la Gloire de la Vigne
Que nous héritons des aïeux
Et cette mascarade indigne
Dont vous déconfites nos yeux ?



RAOUL PONCHON
Courrier Français
21 oct. 1900

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