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A propos de la
MUSE AU CABARET
MUSE AU CABARET
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Suspendez un instant votre harmonieux tourbillon, pour vous incliner gentiment, Muses excessives et romantiques, qui remplissez de cris vos miroirs ! Saluez bien bas, mauvais poètes, cuistres gelés, fabricateurs de rimes alternées et mornes, démarqueurs de Chénier, élèves de Hérédia au vide sonore, collés au flanc de l'Académie, comme des mouches sur la coupole d'un gruyère ! Fuyez, pâle troupeau de ceux qui, n'ayant rien à dire, veulent le chanter ou le siffler dans la langue des Dieux, et tarabiscotent le clair parler français ! Gémissez et tordez-vous les rimes, qui ne riment point, dadaïstes, kubistes, pantagonistes, anagrammateux, hélicoïdes et ellipsoïdes, de tous les temps et de tous les climats ! Voici que notre meilleur poète vivant, de la lignée de Villon et du Vendômois, à la bonne franquette, en chapeau mou, mais tout illuminé des feux d'Apollon, vient de faire paraître son livre, tant attendu, tant espéré, le fameux livre d'un fameux homme : la Muse au Cabaret, par Raoul Ponchon.
Il est là, ce livre, je le tiens, je le respire, je le hume ! Je l'ai même en deux éditions : l'une, dite ordinaire, à 6 fr 75, don de l'auteur (quand on pense que pour 6 fr 75, on a cette somme de joie et de santé ! et l'on dit que la vie est chère !), l'autre magnifique, rutilante, don de mon vieil ami Fasquelle, un matin récent que nous parcourions ensemble la chère librairie de mes débuts. On peut l'ouvrir à n'importe quelle page. Il chante et brille, sur un rythme sain, tel un verre de Chinon frais, posé dans la lumière, sur la fenêtre au treillis de plomb du manoir de Ronsard :
Il est là, ce livre, je le tiens, je le respire, je le hume ! Je l'ai même en deux éditions : l'une, dite ordinaire, à 6 fr 75, don de l'auteur (quand on pense que pour 6 fr 75, on a cette somme de joie et de santé ! et l'on dit que la vie est chère !), l'autre magnifique, rutilante, don de mon vieil ami Fasquelle, un matin récent que nous parcourions ensemble la chère librairie de mes débuts. On peut l'ouvrir à n'importe quelle page. Il chante et brille, sur un rythme sain, tel un verre de Chinon frais, posé dans la lumière, sur la fenêtre au treillis de plomb du manoir de Ronsard :
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Corydon, marche devant !
Sache où le bon vin se vend.
Sache où le bon vin se vend.
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Ponchon le sait, je vous en réponds, où le bon vin se vend ! Il sait même où et comment il se boit. Nul, dans l'éminent cortège des apologistes et laudateurs du vignoble de chez nous, ne l'a célébré plus dignement, plus allégrement d'une veine plus vive et hardie prouvant ainsi que l'art classique garde la souplesse même de la vie, alors que se momifient et se pétrifient, sous nos yeux, toutes les formes du romantisme. L'affectation en art, et qu'elle qu'elle soit, vieillit aussitôt. La complexité n'est qu'une ride précoce. Alors que la sincérité, au contraire, que la spontanéité de sentiment et d'allures, gardent et préservent leurs lignes naturelles. Le rire d'un enfant, l'odeur et la couleur d'une rose, ou d'un lys, une main de femme tenant une lettre, à contre-jour, le chant d'un oiseau, la douceur assombrie d'une voix virginale, la voile qui appareille, un chant sur une route... tous ces riens, si précieux, suspendus entre le réel et le songe, ont éveillé, dans l'âme de nos grands poètes, des rythmes émouvants et pleins, qui aident à franchir les heures moroses, qui apaisent les deuils et les regrets.
La haute fonction de la poésie, c'est d'éterniser l'instantané, où se mireront nos contemporains et nos successeurs ; c'est de donner au coeur oppressé par l'arrivée, par la fuite de la vie et de l'amour, un aliment de diversion et de rêve.
Si Raoul Ponchon aime le vin, c'est qu'il est lui-même un nectar roboratif, un élixir de compréhension gaie et amère, une philosophie, blanche ou rouge, qui pétille quand saute son bouchon. D'ailleurs, soyez tranquilles, lecteurs sentimentaux et nostalgiques, la mélancolie l'habite par moments, une mélancolie qui ne tient pas toujours à ce mal localisé, par le proverbe, dans les cheveux que Ponchon, d'ailleurs, ne possède plus. Il n'est pas plus indifférent à l'énigme du monde que le plus vain des poètes psychologues ; mais il la ramène à l'essentiel, en un rien de strophes, qui disent tout. Sa pensée jaillit, mêlée à son rire, dans la virevolte de sa chanson. Il frappe ainsi des médailles rapides, qui semblent d'argile et qui sont de bronze, quand, chez tant et tant d'autres, c'est exactement le contraire.
Mais, grisé par lui, je parle tout le temps. Ecoutez-le donc à son tour ; ce qui suit est extrait de la pièce magique, intitulée " le vin de mon ami " :
La haute fonction de la poésie, c'est d'éterniser l'instantané, où se mireront nos contemporains et nos successeurs ; c'est de donner au coeur oppressé par l'arrivée, par la fuite de la vie et de l'amour, un aliment de diversion et de rêve.
Si Raoul Ponchon aime le vin, c'est qu'il est lui-même un nectar roboratif, un élixir de compréhension gaie et amère, une philosophie, blanche ou rouge, qui pétille quand saute son bouchon. D'ailleurs, soyez tranquilles, lecteurs sentimentaux et nostalgiques, la mélancolie l'habite par moments, une mélancolie qui ne tient pas toujours à ce mal localisé, par le proverbe, dans les cheveux que Ponchon, d'ailleurs, ne possède plus. Il n'est pas plus indifférent à l'énigme du monde que le plus vain des poètes psychologues ; mais il la ramène à l'essentiel, en un rien de strophes, qui disent tout. Sa pensée jaillit, mêlée à son rire, dans la virevolte de sa chanson. Il frappe ainsi des médailles rapides, qui semblent d'argile et qui sont de bronze, quand, chez tant et tant d'autres, c'est exactement le contraire.
Mais, grisé par lui, je parle tout le temps. Ecoutez-le donc à son tour ; ce qui suit est extrait de la pièce magique, intitulée " le vin de mon ami " :
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Il n'est pas de ces vins fous,
Lesquels vous
Flanquent d'abord une tape :
Pacifique et aturel,
Il est tel,
Qu'il somnolait dans la grappe.
....................
C'est un paisible et serein
Souverain,
Qui, dans sa cour enchantée,
Avance à pas de velours,
Si peu lourds,
Qu'on ne s'en peut faire idée.
......................
Et lentement, et petit
A petit,
Les rythmes comme des pages,
Commencent à babiller,
Frétiller,
Et mènent de grands tapages.
Un rêve dans mon cerveau,
Tout nouveau,
Se lève comme une aurore,
Plus ingénu mille fois
Qu'en les bois,
Une fleur qui vient d'éclore.
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Lesquels vous
Flanquent d'abord une tape :
Pacifique et aturel,
Il est tel,
Qu'il somnolait dans la grappe.
....................
C'est un paisible et serein
Souverain,
Qui, dans sa cour enchantée,
Avance à pas de velours,
Si peu lourds,
Qu'on ne s'en peut faire idée.
......................
Et lentement, et petit
A petit,
Les rythmes comme des pages,
Commencent à babiller,
Frétiller,
Et mènent de grands tapages.
Un rêve dans mon cerveau,
Tout nouveau,
Se lève comme une aurore,
Plus ingénu mille fois
Qu'en les bois,
Une fleur qui vient d'éclore.
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Il en est ainsi pendant trois cents pages ! Ce livre où bourdonnent les divines abeilles d'où coule un miel, ou mieux, un hydromel bordelais, bourguignon, rhodanien, tourangeau, ce chant, plutôt, est une école de haut et substantiel lyrisme. il rappelle, à l'heure qu'il faut, un grand peuple, étoilé de grands poètes, à ses meilleures traditions. Il jette ce que j'appellerai l'alarme du bon sens dans les fourrés, confus et enténébrés, montant à pic vers la vanité orgueilleuse que trop de messieurs et de dames, d'ailleurs bien doués, prennent pour le Parnasse aux flancs bleus. Il sonne le ralliement à la raison lucide, avec les grelots d'une demi-ébriété simulée. Il monte à la vigne plus souvent encore qu'il ne descend à la cave. Là, selon le conseil de l'Altissime, celui qui a de l'entendement clair peut comprendre ce qui se dissimule sous le couvert charmant d'un refrain bacchique.
On raconte que les livres des bibliothèques, quand la nuit est tombée et le maître couché, parlent entre eux, échangeant leurs meilleures pages et leurs strophes les plus brillantes de siècle à siècle et de tempérament à tempérament. C'est un honneur, comme vous pensez, et incomparable, pour un auteur que de converser avec Jean de la Fontaine, dans ces conditions d'intimité, de familiarité glorieuses ! Eh bien, dans votre librairie, mettez une bonne place, non loin des immortelles fables, la Muse au Cabaret, et laissez faire. Je vous dis que le Bonhomme sublime et Ponchon ne tarderont pas à jaboter.
On raconte que les livres des bibliothèques, quand la nuit est tombée et le maître couché, parlent entre eux, échangeant leurs meilleures pages et leurs strophes les plus brillantes de siècle à siècle et de tempérament à tempérament. C'est un honneur, comme vous pensez, et incomparable, pour un auteur que de converser avec Jean de la Fontaine, dans ces conditions d'intimité, de familiarité glorieuses ! Eh bien, dans votre librairie, mettez une bonne place, non loin des immortelles fables, la Muse au Cabaret, et laissez faire. Je vous dis que le Bonhomme sublime et Ponchon ne tarderont pas à jaboter.
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LEON DAUDET
Ecrivains et Artistes (T 4)
Ed. du Capitole
11 déc. 1920
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LEON DAUDET
Ecrivains et Artistes (T 4)
Ed. du Capitole
11 déc. 1920
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