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Rêvons un peu

C’est le balsamique encensoir
Des fleurs, le soir,
Qui tremble au-dessus des vallées
Et des âmes désolées

Qu’importune l’éclat du jour,
Ou que l’amour
Laisse toujours indifférentes,
Des âmes toujours errantes ;…

O fleurs dont la bouche de miel
Chante le ciel :
Asphodèles et scabieuses
Et violettes pieuses,

Jasmins, lilas de pourpre et lourds
Passe-velours,
Aconits casqués, ancolies :
Urnes de mélancolies,

Capucines, jonquilles, lis,
Amaryllis,
Qui distillez dans vos calices
De merveilleuses délices,

Hortensias, gloxinias
Et fuchsias,
Et vous, pudiques balsamines
Aux sensibles étamines,

Roses, le véritable nid
De l’infini,
O fleurs, ô folles que vous êtes
Vous, la grâce de nos fêtes…

Mais je sens qu’il me faut, ce soir,
Aller m’asseoir,
Ne pouvant dire vos corolles
Avec de belles paroles…

Le foin de son suave encens
Trouble les sens ;
Les crapauds parlent du mystère
Qui s’accomplit sur la terre ;

Au loin murmure la forêt
Et l’on dirait
Des accords à peine sensibles
Sur des harpes invisibles,

Et dans les flots noirs de la nuit
Sans bruit, sans bruit,
Plongent les sublimes étoiles
Comme de lointaines voiles.

On voit en cet instant clément
Chinoisement
Tomber sur la campagne brune
De blancs pétales de lune :



Oh ! s’éteindre alors doucement,
En s’endormant,
Pris dans cette impalpable neige
Comme un oiseau dans un piège,

Oh ! charme de mourir ainsi !
De vivre aussi,
Vivre sans insister, à peine,
Comme une matière vaine.

Bien qu’elle cause un peu d’émoi,
Ecoutez-moi :
Cette heure est la bonne, cette heure
Est encore la meilleure ;

C’est l’heure du divin pardon,
Aimez-la donc ;
Où vos fautes vous sont remises,
Créatures insoumises !



Raoul Ponchon,
Vaux Juillet 1887


(1) " De blancs pétales de lune"
nous a immédiatement évoqué ce sensible cliché d'Edouard Boubat qui nous a quitté
il y a peu. Nous avons eu la chance de le rencontrer plusieurs fois : c'était un homme délicieux, raffiné et d'une générosité inoubliable.
Nous voudrions ici, modestement, lui rendre hommage.