16 sept. 2007

Monsieur BULOZ ! *

Sa Sainteté Alexandre VI *
(Esprit des nations)
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O directeur saumon de la sombre Revue
Des Deux-Mondes, hélas !
Prenez une autre table, ôtez-vous de ma vue ;
Garçon, Revue à l’as.

Ah ! petit polisson, pétulant minotaure,
Vous aurez sur les doigts ;
Et nous allons crier, pour que nul n’en ignore,
Votre nom sur les toits :
Buloz ! Tel est ce nom redouté du vulgaire,
Il est net, positif,
En s’écriant : Buloz ! On partirait en guerre
Sans le moindre motif.

Hier encore on disait : Buloz ? Ah ! diable ! foutre !
Mince ! c’est quelqu’un ça !
D’aussi considérable que le Brahmapoutre
Ou que le mont Ossa.

C’était, pour quelques-uns, une grosse légume,
Pour d’autres, un cerveau ;
Le public n’était rien pour lui, telle une plume
Sur la tête d’un veau.

Sans doute l’on savait qu’il était roi des cuistres,
Mais il pontifiait
Dans le noble faubourg, tutoyait les ministres,
Bref, chacun s’y fiait.

Et moi je le prenais pour quelqu’un de la Ligue
De monsieur Bérenger,
Un être qui pour la morale se fatigue
Et qui la veut venger ;

Un des sept sages de la France, inaccesible,
Perdu sur des sommets,
Un lis pur dans le fond d’un abîme, une cible
Que l’on atteint jamais.


Ah ! Bien oui ! On en apprend de belles
Sur son compte aujourd’hui.
C’est même à peine si mes oreilles rebelles
Croient ce qu’on dit de lui.

C’est un être quelconque, et sujet comme un autre
A toutes passions,
Qui patauge fort bien dans la crotte et se vautre
Dans les abjections.

C’est un jeune homme atteint de folie érotique
A l’instar d’un vieillard,
Qui trouve la morale un préjugé gothique
Perdu dans le brouillard.

Ce tartufe sévère au monde, âpre et maussade,
Redevenait exquis,
Paraît-il, loin des yeux, et tout aussi de Sade
Que le divin marquis.

Quant au cabinet vert qu ‘avec terreur on nomme,
On en était tout bleu ;
On n’y voulait pas voir la demeure d’un homme,
Mais le temple d’un dieu ;

Ou, l’on s’imaginait qu’en directeur farouche,
Oeuvrant de son métier,
Il y travaillait ferme avec sa fausse couche
De copain Brunetier.

On le voyait plongé dans les littératures,
Des plus rares esprits,
Recueilli, méditant, et criblant de ratures
De nombreux manuscrits.

Dame, pour faire aussi stupide que la feuille
De cette dame Adam,
Il faut bien que ce Turc de Buloz se recueille
Comme en un ramadan.






Or, l’on se trompait du tout au tout. Pas de chance
Car ce cabinet vert
Etait pour dire, un cabinet…d’aisance,
Au seul beau sexe ouvert.

On y voyait des mères et des filles
...............................
..........................
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Etaient-ce des bas-bleus apportant des copies ?
Ou venant s’abonner ?
Non, il se passait là des mystères impies
Bien faits pour étonner.

C ‘est là que mon Buloz avait fait sa Caprée,
Tibère en raccourci ;
Un esclave au profane en défendait l’entrée,
Raccourci lui aussi.

Même il en aurait vu quelquefois d’assez raides ;
Je dis raides, c’est pour
La rime, au cas où je ferais rimer Tancrèdes…
Mais ça n’est pas le jour.

Sur les canapés verts, comme bien tu supposes,
Ainsi que les lézards,
Buloz a des tendrons indiquait quelques poses
Relevant des Quat -z’Arts.





Et dire qu’il trouvait le Courrier un peu leste :
Eh ben, mon vieux salaud,
Pour une fois que ta pudeur se manifeste,
T’en as un fier culot.

Ma foi, nous ne saurions discuter la matière
De la review pompier,
Qui ne nous a jamais qu ‘écorché le derrière
A cause du papier.

Sur elle nous avons des opinions nettes,
Comme en ont les seuls dieux,
C’est que tout ce qui se conçoit dans les tinettes
Doit retourner aux lieux.

Mais la revue, alors, se faisait toute seule ?
Diras-tu, mon fiston.
Non, non. Ca regardait sa femme, une bégueule
Portant barbe au menton ;

S’y connaissant assez, encore qu’un peu braque,
En Delpit, en Ohnet.
C’était dans le boudoir de la vieille chabraque
Qu’on vous la cuisinait.

Buloz gagnait ainsi des sommes insensées ;
Tout ne se vend-il pas ?
Et, comme elles étaient par lui-même encaissées,
Il tapait dans le tas.

Dans son cabinet vert il menait des orgies,
Tel un imperator :
« - Baptiste, du champagne, allumez les bougies,
Roulez, les rouleaux d’or. »





Il dépensa tout, jusqu’à la dernière thune,
Ce roi des gigolos ;
Il ne lui reste plus que, pour toute fortune,
La peau…de ses rouleaux.

Buloz, pauvre Buloz, Buloz, roi des Immundes,
C’est mon avis tel quel,
Au lieu de diriger la Revu’ des Deux-Mondes,
Monte donc un Bordel.

Mais, quoi ! C’est même pas pour toi la scène à faire ;
Eh bien ! non, je confonds,
Car ce ne serait pas encor la bonne affaire,
Tu mangerais ton fonds.



Raoul Ponchon





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