14 sept. 2007

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! LA VIGNE !

A Madame la Marquise de M…


De bons vignerons m’ont dit :
– Les bougres ont tant d’esprit –
Que nous aurions cette année
Une excellente vinée.

Que voilà de braves gens,
Honnêtes, intelligents :
En vérité je les aime
Bien autrement que moi-même.

Comme ils ont toujours été
Apôtres de vérité
Il nous faut d’abord les croire
Et nous préparer à boire.

Moi, je ne puis le nier,
Je suis prêt de l’an dernier ;
Vous aussi ? dites, marquise,
Ah ! que je vous trouve exquise




Si nous allions voir un peu
Mijoter sous le ciel bleu
Ces futures ambroisies
Vermeilles et cramoisies ?


*
*...*


Voyez comme ils ont raison :
Voici pousser à foison
Notre bien heureuse vigne
Entre les plus dignes digne !

Il en pousse sur les toits
Et sur les jambes de bois,
Je le jure sur mon âme ;
Et puis…mais ici, Madame,

Il faut que vous vous pâmiez :
Il en vient sur les pommiers ;
Même, elle saute à la gorge
Des grands houblons et de l’orge ;

Inextricables réseaux
Où se prennent les oiseaux,
Où le bon Soleil lui-même
Accroche son diadème.

Je n’en puis croire mes yeux ;
Que de vin délicieux
Ce tas de raisin va faire ;
De joie en tremble mon verre.

Que de vin ! ce sera trop :
Il faudra boire au galop ;
Nous serons forcés peut-être
D’en jeter par la fenêtre.

Il vaudra moins cher que l’eau :
Vous aurez un plein tonneau
De vin joyeux et limpide
Contre une barrique vide.

Ce raisin luxuriant
Est du plus bel orient :
Je dis qu’une seule grappe
Vaut la mitre d’un satrape.

Ce sont des perles de jours,
Ce sont des bonbons d’amour ;
Je veux en orner les tresses
De mes très sages maîtresse.

Rubis jamais valût-il
Ces joyaux au feu subtil
Qui sont de la terre entière
La saveur et la lumière ?

*
*...*


Des raisins partout, partout !
C’est consolant comme tout :
Vous dites, marquise insigne,
Elle n’est donc qu’une vigne

La France ? Y comprend-on rien ?
– Bédame, vous voyez bien.
Ah ! La France est la plus blonde
Des nations du vieux monde.

Elle est la plus belle aussi ;
Je ne sais pas même si
Elle n’est pas la plus brave,
Ayant une telle cave ?

– Oui, mais le philloxera,
Le mildew et coetera,
Ne font-ils pas des ravages
Ainsi que de vrais sauvages ?

– Baste ! le philloxera
N’existe qu’à l’opéra
C’est un mot pour la romance,
Une balançoire immense.

Sans plus longtemps discourir,
C’est un bruit que font courir
Ces vendeurs d’eau de rivière,
Qu’on nomme marchands de bière.

Flaves Teutons en émoi,
Calmez-vous, écoutez-moi :
Si la vigne était déchue
La France serait fichue ;

Or, quittez votre abreuvoir
Un instant, et voyez voir :
Malgré cette chaude alarme
Nous nous portons comme un charme.

Ne parlons plus de cela ;
Laissons ces fripouilles-là
Et buvons tous deux, Madame,
A la santé de notre âme.



Raoul Ponchon
le Courrier Français - 14 août 1887

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