27 sept. 2007

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DESESPOIR
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Au banquet de la vie infortunée convive…
(Gilbert)


Du plus loin que je me rappelle
Je ne crois pas avoir jamais
Mangé ni bu de façon belle,
Sauf de rares cas que j’omets.

Par façon belle j’entends dire
Proprement, sans plus…à mon goût…
Je ne dis pas cela pour rire
Car ça n’est pas drôle du tout.

La chose vaut bien qu’on en glose,
D’autant que manger j’aime fort,
Et boire de même, si j’ose…
Eh bien, il paraît que j’ai tort.

Ainsi dès ma plus molle enfance
J’ai bu probablement du lait
Comme tout le monde, je pense,
En tant que aliment complet ;

Ce lait trouvait dans deux gourdes
Avec une personne autour :
Gourdes massives, lentes, lourdes
Qu’elle me prêtait tour à tour.


Mon Dieu, il n’est pas impossible
Que ce fût là du bon lolo ?
Aujourd’hui je suis plus sensible
Voilà tout, à du picolo.

Mais je parierais mes esgourdes,
C’est que lorsque je désirais,
Nounou, téter ta droite gourde
C’est la gauche que tu m’offrais.

C’est la vie ! il est inutile
D’insister…Plus tard, mes parents
Sous le prétexte assez futile
Que j’avais des appétits grands

Pour les bonbons, les confitures
M’en refusaient, bien entendu :
Oh la la ! les sales natures !
Sauf le respect qui leur est dû.

Mais ils me saturaient de soupe,
En revanche, que j’aimais peu :
« Ah ! ah ! tu n’aimes pas la soupe ?
Tu vas en manger, nom de Dieu… »


Plus tard encore c’est le collège,
L’ère sombre des haricots ;
Je n’avais pour seul privilège
Que de les redire aux échos.

C’est l’ère aussi de l’abondance
Voilà qui fait froid dans le dos,
Cette goutte de vin qui danse
Dans beaucoup d’eau, que d’eau, que d’eaux !

Parlerai-je de la bidoche
Unique sous le firmament,
En cuir de la brouette et de pioche,
Que j’ai mangée au régiment.

Enfin, c’était pour la patrie !
Et par de récents précédents
Ma panse était fort aguerrie,
Et je faisais encor…mes dents.

Depuis…Peuh ! c’est bien même chose,
Il n’en va ni pire ni mieux
Pour moi qui tortore, et pour cause,
Dans quels milieux, las ! – disons : lieux.

Oh ! ces restaurants à prix fixe,
Bien faits pour extraordiner ;
Où l’on ne peut dégager l’ixe
Du plus misérable dîner !

Je sais les vins sans poésie
Et le pain qui n’est pas du pain,
Et les liqueurs de fantaisie
Comme les têtes de lapin.


Et si je vieillis ? …c’est possible,
Malgré l’absinthe et le tabac
– En tout cas, c’est bien admissible –
J’aurai donc des maux d’estomac.

On me foutra de la panade
Et du lait que j’ai en horreur.
Crénom, j’en suis déjà malade,
Quelle dèche, mon empereur !

Voilà comment pendant ma vie
Je n’aurais ni bu ni mangé
Selon mon goût et mon envie.
Enfin !...heureusement que j’ai

Pour me consoler une fable
Dont Coppée est, je crois, l’auteur,
Et que je tiens pour ineffable.
Tenez, la voici, sauf erreur.




FABLE


Un enfant aimait bien la crème,
C’est du caca qu’on lui donna.

MORALITE


Quand on n’a pas ce que l’on aime
Il faut aimer ce que l'on a.



Raoul Ponchon

le Courrier français
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