20 sept. 2007

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Or partout
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On encense
Sa puissan
an-an-an-an
an-ce
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Or , était une fois un homme
Qui, dans l’Amérique du Nord,
Avait gagné la forte somme
Au moyen d’on ne sait quel sport.

Que, s’il eût eu ce gros pécune
En lingot d’or, ce lingot d’or
Eût été plus gros que la lune.
Ah ! Mes enfants, que d’or ! Que d’or !

Outre cette folle galette,
Ce vieux cocu - comme il ressort -
Avait une grande fillette
En âge de tirer… au sort.

Il la promenait par le monde,
De Chandernagor à Louqsor,
Et d’Ophir jusques à Golconde.
Pays de rêve ! Cités d’or

Elle était vraiment très gentille ;
Mais ce qui valait bien mieux encor,
Ce père donnait à sa fille
Un tas énorme d’écus d’or.

Il n’y avait pas cinq minutes
Qu’il trimbalait ce coffre-fort,
Que des flots de gendres hirsutes
Vinrent de babord et tribord.

Mais, pour Ménélas notre Hélène
Elut un galant monsignor
Qui, dans l’armée italienne,
Etait presque adjudant-major.

Il n’avait pour toute fortune
Que trois ou quatre galons d’or,
Et sa fine moustache brune,
Sur sa manche (les galons d’or).

Il était de naissance illustre
D’ailleurs, étant né Borghozor,
Mais son blason perdait son lustre,
Il était temps qu’il eût de l’or.

« - Tu m’aimes vraiment , - Je t’adore.
- Répète le moi … mon trésor
- Je t’adore. - Et moi je te dore,
O mon amour ! - Ma mie en or ! »

Après deux jours de cour complète,
On choisit d’un commun accord
Notre-Dame-de-la-Galette
Aux fins du nuptial record.



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Or, surtout son étendue,
Cachant porphyres et portors,
L’église était toute tendue
D’oripeaux d’Orient et d’or.

Et des blasons plus fiers que l’aigle
Capitonnaient ce lourd décor
Qui, contrairement à la règle,
Portaient d’or aux attributs d’or.

C’était un spectable spectacle
Digne du Cid Campeador.
Sur l’autel dans un tabernacle
Etait installé le Veau d’or.

Enfin arriva le carrosse
Des mariés, avec tant d’or
Partout s’y relevant en bosse
Qu’il avait l’air d’un chameau d’or.

Les voici gravissant les marches
Du temple, sur des tapis d’or,
Et suivis par des patriarches
De la Banque tout cousus d’or.

Par les rupins de la finance,
Les empereurs du coffre-fort,
Les Mackay, les Gould, l’éminence
Rothschild, Parisien de francfort ;

Venaient après les sans-ressources,
Riches honteux, ayant peu d’or.
Peu de millions dans leur bourse,
Une cinquantaine… et encor !

Ces derniers cerveaux infertiles,
Tristes comme le son du cor
S’efforçaient de se rendre utiles
En ouvrant les portières d’or.

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Quand la noce fut empilée
Dans la nef, les clarines d’or
Sonnèrent à toute volée,
On les entendit du Thabor.

De même les notes sonores
Des orgues prirent leur essor,
Et les vitraux multicolores
Charoyèrent sur tout cet or.

Le prêtre alors fit son entrée,
Habillé comme un matador
D’une sorte de diarrhée
De rubis, d’escarboucle et d’or.

Il dépêcha ses patenôtres,
Introïbo, confiteor,
Laissa la Vierge et les apôtres
Se morfondre en leurs membres d’or,

Et courir chercher une pelle,
Croyant ramasser un trésor.
Pour alimenter sa chapelle,
Rapport à tous ces rois de l’or.

Hélas ! La misérable aubaine !
Jugez quel fut son déconfort ;
Il ramassa trois liards à peine,
Et même avec beaucoup d’effort.


A l’offertoire on ouït Fauré
Chanter la chanson du Veau d’or
Qui est toujours debout, encore,
Et le sera jusqu’à sa mort.

Et voilà la messe finie ;
La jeune épouse et son signor
Pour clore la cérémonie,
Echangèrent un anneau d’or.

Puis notre jeune mirliflore
Dit en tirant sa montre en or :
Diable, il est temps que l’on tortore,
Allons donc à la Maison d’Or.

La noce que la main dévore
Corrobora cet avis d’or.
Et dans un salon que décore
Un beau mobilier rouge et or,

Apanage de la richesse,
Fut tôt à cette maison d’or
On leur servit avec largesse
Et dans de la vaisselle d’or

Des mets que le vulgaire ignore,
Les viandes les plus extraor-
dinaires que Bouchor abhorre,
Des ortolans, des tourtes d’or,

Des poissons venus du Bosphore,
Avec au nez des anneaux d’or.
Des côtelettes de centaure
Et des mollets de hareng saur.

Et quels légumes ! Et quelle flore
Des fruits que dore fructidor
Et desquels Pomone s’honore,
Et qui perlent en gouttes d’or !

Les appétits faisaient merveille ;
Chacun briffait comme Dodor 1
A jeun depuis une avant-veille.
Le pain lui-même était en or.

Il serait trop long de décrire
Les vins d’or dans les coupes d’or,
Coupes d’or où nage le rire,
Vins d’or où le bon soleil dort.



« - Buvez, c’est papa qui régale »,
Disait l’époux de sa voix d’or.
Vous eussiez dit Sardanapale
Traitant Nabuchodonosor.

Puis on servit la liqueur noire
C’est-à-dire un fin moka d’or
Dont chaque grain, veuillez m’en croire,
Coûta, bien sûr, un ducat d’or.

A ce moment, dans l’assistance,
Un vieux juif, à bec de condor
Porta un toast de circonstance,
Bien que le silence soit d’or.

Son crachoir disait en substance
Qu’à tout bien considérer, l’or
Est le vrai fond de l’existence,
Qu’il n’est de salut hors de l’or !

On applaudit fort ce minable
Qui, certes, avait parlé d’or,
Et puis enfin on sort de table
Après un dernier rouge-bord,

Attendu qu’un Erard plangore
A côté. Des couples accorts
Sacrifièrent à Terpsichore
Sauf ceux en jouissance de cors ;

Tandis que le père en démence
De son gendre assurait le sort
En lui signant un chèque immense
De quatre-vingt millions d’or,

Et que la mère de famille,
Prudent Nestor, sage Mentor,
Apprenait à sa jeune fille
Comment avec un homme on… dort.

A peine ces jeunes Borghèse
Connurent leurs respectifs sorts
Qu’ils vous filèrent à l’anglaise
Vers de définitifs transports.


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* *



Enfin seuls ! Pour simple mémoire
Le mari serra la fleur d’or-
anger dans le sein d’une ormoire
Et la dot en un coffre-fort.

Et quand vint à poindre l’aurore
Aux doigts de rose, aux cheveux d’or,
Ils rêvaient, naïve pécore,
Qu’ils célébraient leurs noces d’or.

Que leur vaudra l’avenir sombre ?
Chi lo sa ? Dans mon humble for,
Je crois qu’ils auront un grand nombre
D’enfants à tête de veau… d’or




Raoul Ponchon
le Courrier Français - 30 juil. 1893




1 Dodor est un ami de Ponchon qui fait plaisir à voir manger et boire

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