26 oct. 2008

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Ode sur la mort
de
PLONPLON
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Ainsi jusqu’à sa dernière heure
Ce dix-huitième de César,
Ce sage Plonplon que je pleure *
Aura donc été navré par
Toute une vermine d’église
Dont le seul aspect scandalise,
D’épouvantables ratichons,
D’abbés pouillards, de labreux moines
A toute ignominie idoines,
Et plus sales que des cochons.
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Ce fut aussi d’infâmes carmes
Furieusement déchaussés,
Puant les bottes de gendarmes,
Les linges jamais décrassés,
Des curés tels qu’on se demande
S’ils ne payent pas une amende
Pour le droit d’offenser le jour,
Qui, sinistre viande gâtée,
Afin de pourrir cet athée
Vinrent mouchamerder autour.


Il en trouvait dans sa paillasse,
Il en entendait dans ses murs,
Il en sentait sous sa limace
Grimper le long de ses fémurs.
Et de janvier jusqu’à décembre
Ils étaient chez eux dans sa chambre
Avec quel aplomb merveilleux !
Or, sa chambre était trop petite,
Certains de cette sombre élite
Attendaient leur tour dans les lieux.


Comme un inutile accessoire
Ils éloignaient les médecins,
Et quand il demandait à boire
Ils lui lisaient la Vie des Saints ;
En le berçant de la promesse
Que s’il voulait ouïr la messe
Non seulement il vivrait vieux
Mais encore il aurait la veine
De remonter sans soin ni peine
Sur le trône de ses aïeux.
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Tant il fallait sauver cette âme !
Même au prix des plus grands dangers !
C’était écrit dans leur programme :
Que penseraient les étrangers
Si jamais l’on voyait à Rome,
Chez le Pape même, un pauvre homme
S’en aller sans confession,
Se permettre dans son audace,
De refuser l’ultime grâce,
La suprême absolution ?

Donc, dès l’aurore, la séquelle
Envahissait tout le palais
Menant une orgie – et laquelle ! –
Emmi le peuple des valets ;
Les uns maniaient les derrières
De mesdames les chambrières
Au sein des couloirs, des greniers ;
D’autres trouvaient tout bénéfice
A célébrer semblable office
Avecque les palefreniers.

D’aucuns aussi sondaient les caves,
– Pèlerins moins passionnés –
Et comme de fangeux esclaves
Se piquaient simplement le nez.
Puis, tour à tour près du malade
Revenait cette mascarade,
Et tout en vomissant sur lui
Ils disaient : « Eh bien, pour quand est-ce
La bonne petite confesse ?
Voyons, c’est-y pour aujourd’hui ? »


Et lui n’en pouvant plus, farouche,
Se disputant à ces larrons
Il laissait tomber de sa bouche
Quelques formidables jurons.
Parfois même on dit que sur l’air de
Flûte et zut il leur disait : merde !
« Il implore la mère du
Sauveur, criaient ces triples brutes,
A moins d’ultérieures chutes,
Il n’est pas à jamais perdu .»


Puis ils allaient chez le Saint-Père
L’entretenir de leur martyr :
« Nom de Dieu ! qu’il disait, j’espère !
Tant de temps pour le convertir !
- Encore un peu de patience,
Répliquaient-ils, une séance
De vinum et de latinum
Et cette brebis égarée
Sera par nous récupérée
Le temps de dire vobiscum. »

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Le lendemain nos chers jésuites
Revenaient alors plus nombreux,
Prenant des re-culs, des re-cuites
Avec un entrain douloureux.
Ils déployèrent un tel zèle
A gagner au ciel ce rebelle
Et très infortuné vieillard,
Qu’avec une ardeur sans égal
Dans l’impénitence finale
Plonplon dévissa son billard.

Et voici qu’au moment suprême
Qu’il rendit le dernier soupir,
Toute cette prêtraille blême
Qui faisait un nez de tapir,
On la vit, étrange mystère,
S’abîmer soudain sous la terre
Et disparaître dans le feu,
Tandis que l’âme de l’athée
Se trouvait déjà exaltée
A la droite du Seigneur Dieu !

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RAOUL PONCHON
le Courrier Français
05 avr. 1891
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