13 avr. 2010

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SERPENTS DE MER
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Dans les feuilles on lit quelquefois de ces choses
Qui propulsent au sein des gens les plus moroses
Une douce gaîté,
Et font dure au lecteur : dieu qu’un journal est bête ;
Ces gazetiers fumeux se payent notre tête
Avec sérénité.

Jadis, qui tint longtemps le record du burlesque
Fut ce lapin géant, ce canard gigantesque,
Le grand serpent de mer
Des marins l’avaient vu dans celle des Sargasses.
On eût dit de son corps qui mesurait cent brasses
D’une île sur la mer.

Depuis bien des serpents sont nés, naissent encore,
Les uns durent toujours, les autres une aurore,
Ca dépend du moment,
Et selon que les gens de goût les apprécient.
Il est de ces serpents éternels qui nous scient
Périodiquement.



Le vrai serpent de mer est une chose énorme
Un rêve de dément qui persiste et prend forme
Et qui vit désormais
Chef-d’œuvre de néant créé de toute pièce
Par quelque gazetier en délire. Qui est-ce ?
On ne le sait jamais.

Certains serpents de mer ne sont que des couleuvres,
Parce que leurs auteurs sont de pâles manœuvres ;
Il en est de moyens
Qu ne le sont pas trop mal torchés mais n’intéressent
Que peu de monde, il en est de gros qui s’adressent
A tous les citoyens.

C’est généralement pendant la canicule
Que le serpent de mer prend naissance et circule ;
C’est la chaleur souvent…
Et puis les gens comme les faits divers sont en vacances…
Alors les plumitifs sortent leurs éloquences ;
D’où ce fameux serpent.

Un des derniers serpents, non une des couleuvres
Dernières plus dures à digérer que les œuvres
De Francisque Sarcey
Couleuvre qui va défiant la concurrence
C’est bien assurément la mort du Roy de France
Que l’on vient d’annoncer..



Le Roy de France est mort ! C’est bien invraisemblable.
Et cet évènement tient plutôt de la fable ;
Car si nous avions eu
Le moindre petit roy fût-il même de Rome
Sans être, à coup sûr, plus informé qu’un autre homme
Parbleu, je l’aurais su,

Mais ça n’est rien encore, voici qui tient du diable ;
Nous n’avions pas de roy, ça n’est pas indéniable
Et pourtant il est mort
Et pourtant il avait un fils qui lui succède.
Je n’y comprends plus rien ; ce serpent-là m’obsède
Et passe mon effort.



Raoul Ponchon
le Courrier Français
23 sept. 1894
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