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ERUPTION de MONTMARTRE
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Le vingt-sept au matin j’étais en train de rire
Dans mon lit, quand ma chambrière vint me dire
Que l’on voyait flouter dessus le Sacré-Cœur
Un nuage bizarre et d’étrange couleur :
« - On n’a jamais vu ça, monsieur, c’est un prodige.
Qui c’est si ce n’est pas le volcan ?… » - Bast ! lui dis-je,
Le volcan ! Quel volcan ? Depuis un temps lointain
Sache que le volcan de Montmartre est éteint. »
Mais, comme elle insistait, j’enfilai ma culbute
Et je me dirigeai du côté de la Butte.
A peine sur le pont, je crus apercevoir
Comme une cendre grise autour de moi pleuvoir,
L’ait était odieux, irrespirable, atroce,
Vous raclait le gosier comme du poil de brosse
Et vous piquait les yeux. Une odeur d’œufs pourris
Et de soufre se répandait sur tout Paris.
Ma bonne avait raison. Sur la montagne inclyte
Se passait sûrement quelque chose insolite.
Mais quoi ? … J’appréhendais d’aller plus loin. Pourtant,
La curiosité sur le trac l’emportait.
Je voulus observer de près le phénomène.
Au surplus une marée humaine
Poussée ainsi que moi par ce désir pervers.
Bientôt je débouchai sur la place d’Anvers.
Or, voici tout à coup, venant en sens inverse
Dégringoler du haut de la montagne, à verse
Des femmes , des enfants criant : « Sauve qui peut !
Le volcan ! le volcan ! » tandis que peu à peu
Se dressait devant nous comme un mur de ténèbres
Zèbré à chaque instant par des éclairs funèbres.
Ce fut une mêlée horrible à concevoir
Entre ceux qui fuyaient et ceux qui voulaient voir.
Lépine et ses agents maintenaient le désordre
En croyant nécessairement faire de l’ordre.
Les pompiers s’agitaient et le docteur Pelet
Allait de l’un à l’autre et se multipliait :
« Ce n’est rien, disait-il, qu’un feu de cheminée. »
Il resta sur le tas toute la matinée.
Alors, on entendit un affreux craquement.
Quelque chose se déclanchait évidemment
Dans les flancs de la Butte. Et ce fut une pluie
De gaz, de pierre ponce et de vesse de truie.
Cette fois le danger était trop évident.
Il ne me restait plus qu’à fiche un camp prudent.
Chacun fit comme moi. Cette fois, plus de doute,
La montagne sacrée allait s’écrouler toute.
En un clin d’œil bistros et cafés furent pleins.
Autant s’achever là, pensèrent les malins.
Il sied parfois d’avoir de la philosophie.
Un volcan est volage et fol est qui s’y fie.
Il ne resta dehors, dédaigneux du mic-mac,
Que quelques amateurs endurcis du Kodak.
Cependant, jusqu’au soir, en s’arrosant la dalle,
On attendit en vain l’éruption fatale.
Au contraire, le Mont s’apaisa peu à peu,
Le soleil se coucha le soir dans un ciel bleu,
La nuit se fit. Et quand la dernière volute
Du nuage de feu qui barbouillait la Butte
Fut enfin dissipée, on vit, rose et vainqueur,
Se dresser vers le firmament le Sacré-Cœur.
Et tous les Montmartrois oubliant leur angoisse
Regagnèrent leur toit, chacun dans sa paroisse,
Sauf deux ou trois craignant quelque nouveau chichi
Qui bivaquèrent sur le boulevard Clichy.
Le lendemain, vingt-huit, encore que blâmée
Une commission de savants fut nommée,
Géologues fameux, cratérisations marquants,
Afin d’étudier le soi-disant volcan.
Ils y furent dès le matin - y déjeunèrent ;
Et rentrés dans Paris, le soir, ils déclarèrent
Qu’il n’y avait pas lieu de s’alarmer ainsi.
Ce n’était qu’une fausse alerte, Dieu merci !
C’est tout ce qu’on voulait. On parla d’autre chose.
Et l’on continua de voir la vie en rose.
Hélas !…
Le lendemain, à midi pour le quart,
Alors que toute crainte était mise au rancart,
Il naquit de la Butte un immense cratère,
Vomissant de la boue et du gaz délétère.
Une atmosphère épaisse ainsi que de la poix
Couvrit dans un instant le pays montmartrois.
Le sol trembla. Le lac de la place Pigalle
Se mit à bouillonner et rejeta ses squales…
Tout à coup, au milieu d’un silence angoissant,
- Rien qu’à ce souvenir se glace tout mon sang, -
Un craquement dont rien ne peut donner idée,
- Comme si la planète alors s’était vidée, -
Se fit entendre. On vit un immense brasier
Vers lequel tout Paris courut s’extasier.
C’était la fin finale. En moins d’une minute,
Il ne restait plus rien de ce qui fut la Butte.
La Butte ! Le premier refuge et le dernier
De la gaîté française et des bons chansonniers,
Des beaux arts, des quat’z-arts, centre et nombril du monde,
Enfin la Butte, quoi !… sous une lave immonde,
Gisait, pompéisait. Plus personne. Bonsoir.
Si vous ne voulez pas me croire, allez-y voir.
Raoul Ponchon
le Journal
03 juin 1902
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