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CANTIQUE
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O bouteille, ma compagnonne,
Vous êtes belle, ma trognonne
Comme la Vénus de Milo ;
Mais que dis-je là ? Sans querelle,
Tu l’emportes autant sur elle
Que le vin l’emporte sur l’eau.
Vous avez quelque ressemblance
Pourtant qui fait que l’on balance ;
Ou - c’est dire un autre que moi ;
Je ne saurais te faire injure
Et je n’aime rien, je te jure
Aussi pieusement que toi.
Elle est longue comme une route,
Si je veux la contempler toute
Je dois m’y prendre à plusieurs fois ;
Mais toi, je peux sans grande adresse
T’envelopper d’une caresse,
Toute entière avec mes dix doigts.
C’est une veule académie ;
Elle n’a pas de bras, ma mie,
Toi, si l’on peut dire, encore moins ;
Voilà pourquoi, ma vieille branche,
- Ainsi que l’a dit Malebranche,
On vous prodigue tant de soins.
Ella de lourdes draperies
Qui recouvrent les Sibéries
Las ! de ses antiques attraits,
Et toi des toiles d’araignée,
Dentelle fragile et soignée
Qui trahit les charmes secrets.
Elle n’est plus la Vénus blonde
Aux yeux gris, à la cuisse ronde
Qui jadis tortilla du… dos ;
C’est la Vénus obligatoire
Qui fait divaguer après boire
Trois ou quatre Anglais de rebut.
Tandis que je sais dans tes veines
Un vin qui fleure les verveines
Et se hâte vers le goulot :
C’est le vin doré qui travaille
Aussi rouge qu’une bataille
Et qui palpite comme un flot.
Ah ! si du moins elle était creuse,
Pleine de liqueur lumineuse ;
Un vin de Samos ou de Chio
Qui lui rougirait les pommettes,
Et fils des anciennes comètes,
Quel inestimable joyau !
Non, elle est massive, encombrante ;
Si c’était ma femme vivante
Je la perdrais dans la forêt ;
Toi, tu t’asseois sur une table,
Tu contiens du vin délectable,
Et je puis te boire d’un trait.
Elle est la déesse de pierre
Sans un regard sous la paupière,
Sans un frisson dans ses habits ;
Toi tu me souris la première,
O ma bouteille de lumière
N’as-tu pas des yeux de rubis ?
Cette garce au cou de chamelle
N’a plus qu’une aride mamelle,
Même il y faudrait du coton ;
Mais toi, tu me verses, bénigne
Le lait empourpré de la vigne,
O mon adorable téton.
Si cette Vénus est muette
N’as-tu pas comme l’alouette
Le plus délicieux babil,
L’éclat de rire ? Et quand tu causes
Ne voit-on pas naître des roses
Spontanément comme en Avril ?
Tu ne seras jamais, statue
De plus de gloire revêtue
Qu’aujourd’hui. Toi, c’est différent,
O bouteille, car chaque année
Ton prix s’accroît d’une guinée.
- O mes frères, Dieu seul est grand !
R.P
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