25 mai 2009

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LE MAÎTRE DE LA LUMIÈRE
. Le citoyen Pataud nous menace d’une nouvelle grève.

Aussitôt que la lumière
Electrique sur Paris
A commencé sa carrière,
Le bon Parisien pris
D’une angoisse, se demande
Si le citoyen Pataud *
Qui, comme on sait, la command
Ne va pas l’éteindre aussitôt.

Car son sale caractère
Est à ce point inouï
Qu’il fait nuit sur la terre,
Pour un non ou pour un oui…
Quand il joue à la manille,
Si c’est sans nul résultat ;
Ou bien si, dans sa famille,
On lui rate son rata.


Il fait on ne sait quel geste.
Peut-être un geste pareil,
A cet autre, anticéleste,
Du ministre du Draveil,
Qui, d’un mystérieux souffle,
- Lus-je dans l’Officiel -
Eteint, comme une camoufle,
Des lumières dans le ciel
.


Oh ! Pataud est plus modeste,
Il ne prétend pas si haut.
Le ciel est là, qu’il y reste !
Il n’y peut rien, lui, Pataud,
Malgré qu’il soit un surhomme.
Mais il débite à son gré,
Puisqu’il est l’économe,
L’électrique feu sacré.


Il fait donc un geste - dis-je -
Signifiant : la nuit soit !
Et la nuit est, ô prodige !
On n’y voit plus devant soi.
L’on tâtonne, l’on trébuche,
Et l’on ose plus marcher.
Plus d’un ramasse une bûche ;
C’est partout des morts joncher…


On ne sort plus, on s’enferme.
Quelques-uns, peu scrupuleux.
Partent, sans payer leur terme,
Devers d’autres ciels plus bleus.
Certains, que la peur habite,
Croient, alors qu’ils croient venir
Cette ténèbre subite,
Que le monde va finir.


Et Pataud reste impassible,
Estimant ce désarroi
D’un comique irrésistible.
Il n’est plus que tu ne crois
O maître de la Lumière,
Grand chef de la C. G. T.,
Pataud de la Pacaudière
Et je crois en vérité,

Que tu fais un pauvre rêve :
Car ces vieux Parisiens
S’amusent fort de la grève
Des sieurs électriciens.
Vers vos lumières rebelles,
Sans doute, ils sont haletants…
Mais croyez que la chandelle
Leur rappellent le bon temps !



RAOUL PONCHON
le Journal
07 septembre 1908

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