22 mai 2009

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IL N’Y A QUE LA FOI QUI SAUVE
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Donc, quelques êtres s’amenèrent
Et, comme un seul homme, sonnèrent
A la porte du paradis.
Saint Pierre sortit de sa niche
Et leur dit : « Que venez-vous fiche
Ici, chez nous, tas de bandits ? »

« Au nom du Fils, au nom du Père,
Nous voudrions, ô grand saint Pierre,
Entrer au paradis, sans plus. »
« Mais, dit le prince des concierges,
Le prenez-vous pour une auberge ?
Êtes-vous dignes d’être élus ?

« Vous avez fort méchante mine.
Il convient qu’on vous examine :
Toi, par exemple, le premier,
J’en vis souvent, je le proclame,
Qui marquaient mieux que toi, dont l’âme
N’était cependant que fumier.

« Alors dis-moi, mon petit père,
Quel était ton bon Dieu sur terre ? »
« J’adorais le Dieu des chrétiens. »
« Bon. Tu peux entrer dans la boîte ;
Par ici, dans le fond, à droite…
Tu trouveras nombre des tiens.



« Et toi, dit-il, mon vieux jésuite ?
A celui qui parut ensuite.
Tu m’as l’air d’un prix de vertu,
Avec ta figure confite…
Mais quel est ton autre mérite ?
Et lequel Dieu adorais-tu ?


« Le même, avec cette nuance
Que j’étais dans la protestante
Répondit l’autre. » - « Bien, très bien.
Tu protestais, toi, forte tête !
Apprends, en passant, vieille bête,
Que protester ne sert à rien ;


« Pourtant, je t’accepte quand même.
Et toi ? (s’adressant au troisième).
« Moi, grand saint ? Eh bien, j’en pinçais
Pour la religion bouddhiste .»
« Parfait. Elle vaut la biblique.
Je suis bouddhiste, au fond, tu sais…)


*
* ...*



Parmi les autres âmes, l’une
Adorait le soleil, la lune…
On confessait tant bien que mal
Les croyances les plus diverses,
Iroquoises, kurdes ou perses…
Tel bon Dieu plus ou moins normal.


Et toutes ces âmes barbares,
Qui pataugèrent dans les mares
De l’erreur, en leurs jours maudits,
Trouvaient grâce devant saint Pierre
Et s’éveillaient à la lumière
Dans le sein bleu du paradis.


Il restait une âme dernière,
Qui se taisait, quelque peu fière.
« Eh bien, lui dit l’apôtre, et toi ?… »
« Oh ! moi, puisqu’il faut que j’en cause,
Je ne croyais pas à grand’ chose
Sur terre… Mon Dieu, c’était moi ! »



« Le beau fichu Dieu ! ma parole,
Fit saint Pierre. Dis-moi, mon drôle,
Sans doute tu veux te moquer ?…
Enfin, entre… je suis bon prince.
Mais surtout fais-toi très, très mince…
Qu’on ne puisse te remarquer. »


RAOUL PONCHON

le Journal
12 mars 1909

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